Les origines vaudoises des Protestants du Nord-Luberon

 

Les récits qui suivent ont été rédigés par Marion et Magali BOURGUE publiés pour la première fois dans « La Valmasque », bulletin de l’Association d’Études Vaudoises et Historiques du Luberon

Comme vous le savez, nos paroisses du Luberon ont de nombreux lieux de culte, héritage d’une histoire locale très riche (en particulier des communautés vaudoises) ! Nous voulons, grâce à l’aide des recherches faites localement par ceux dont la famille est aussi héritière de ce passé, découvrir et partager avec vous, cet héritage et ce riche passé… de cette communauté vaudoise puis réformée, de 1500 à nos jours.

Installation des Vaudois dans la région du nord Luberon et à Gordes

Des Vaudois, disciples de Pierre Valdo désigné par l’Eglise comme hérétique bien avant la Réforme, se fixèrent tout spécialement dans la vallée du Calavon entre Apt et Cavaillon, vallée qu’on se plût, de ce fait, à appeler « la Valmasque » (d’après J.L Morand dans son ouvrage « Gordes, note d’histoire », Mas ou Masque signifiant en provençal : sorcier).

La Valmasque est aussi un quartier de Lacoste donnant vers Ménerbes. L’hérésie étant vue par l’Eglise comme d’origine diabolique, toute personne accusée d’hérésie était aussi considérée comme sorcier ou sorcière. La vallée du Calavon a été de tout temps une importante voie de communication (via Domitia). On pouvait ainsi depuis Cunéo, par l’Ubaye et la vallée de la Durance, joindre la Provence et le Languedoc en l’empruntant. Une partie des Vaudois, ceux notamment de Cunéo, s’installa au nord du Luberon. Ce sont, pour la plupart, des travailleurs saisonniers au départ, qui s’installent définitivement par la suite. Nous les trouvons à Gignac, Les Tourettes, Sivergues, Roquefure, Lacoste, Roussillon, Murs, Joucas. Mais les premiers Vaudois venus des Alpes se sont fixés, entre 1465 et 1480, (d’après Gabriel Audisio « Le Luberon vaudois ») dans les localités de Robion et Maubec proches de Gordes. 

 

 

Il n’y a pas eu d’actes notariés d’habitations à Gordes comme ce fut le cas à Murs et à Joucas. Ce sont les moines de l’abbaye de Senanque qui donnèrent en location, à des familles vaudoises, les terres et bâtiments de Saint-Blaise. La bastide St-Blaise était une ferme, résidence de campagne des moines proche du hameau des Gros. En 1526, une location est faite à Antoine Serre alias Marro, Jean Robert alias Gros et Pierre Peyron alias Michelon, laboureurs de Cabrières d’Avignon. Les patronymes (noms de famille) vaudois attestés aux 15e et 16e siècles sont : Bertrand, Bourgue, Dauphin, Gros, Marre, Marro, Martin, Michelon, Neron, Peyron, Robert, Serre. Les patronymes soulignés sont encore très présents dans la toponymie (noms de lieux) locale : les Michelons, les Martins, les Gros, le Serre, les Bourgues, les Imberts, les Roberts, les Adam, les Moulin des Roberts, le Moulin de Jean de Marre, Les Marres, les Cortasse, Chabert, la Pourraque, les Sauvestres. Certaines familles vaudoises, ayant vécu là, sont encore représentées aujourd’hui.

A la fin du 15e siècle, les Vaudois ont participé au développement de Gordes et ont construit des bastides, comme celle des Gros regroupant plusieurs familles. Le hameau des Gros s’est formé autour de la bastide des deux frères Thomas et Jean Robert alias Gros. On sait qu’après le massacre des Vaudois à Cabrières d’Avignon (1545), « les rescapés » se sont réfugiés autour du hameau des Gros et à proximité, puisque, à ce jour, il n’y a plus de protestants d’origine vaudoise à Cabrières d’Avignon mais encore un certain nombre autour des Gros.

Les vaudois s’installèrent également dans les hameaux et villages environnants : les Martins, les Michelons, Les Bouilladoires, Foncaudette, Le Ribas, les Beaumettes, etc. (voir la carte ci-dessous qui montre aussi l’implantation des cimetières familiaux).

 

Les Barbes (Prédicateurs vaudois itinérants)

Le barbe Loys, accompagné de Pierre Griot, prêche « en la maison des Gros ». Il ressort que ce prédicateur est allé en 1530-1531 dans tous les villages avoisinants Gordes et qu’avec le barbe Louis, l’un des principaux de la « secte », il s’est rendu chez les frères Gros en terre de Gordes au printemps 1531, pour y revenir quelques temps après avec le barbe Georges de Cabrières et le barbe Antoine Guérin bonnetier à Avignon. On verra que le hameau des Gros a toujours été dans la commune un centre actif du protestantisme. Cela prend sa source tout à fait aux origines et doit sûrement beaucoup à l’esprit de résistance engendré par les exactions de Jean de Roma (inquisiteur nommé par François 1er). Informations recueillies dans « Gordes, note d’Histoire », cité plus haut.

Après mûres réflexions, et pour rompre un certain isolement, les Vaudois du Luberon se rapprochent des communautés françaises issues de la Réforme.

Taxés d’hérésie, les Vaudois sont en butte avec les principaux seigneurs ecclésiastiques de la région. Bien que sous la protection du seigneur de Lourmarin, un arrêté est pris contre eux et son exécution est confiée au seigneur d’Oppède.

Le massacre de 1545

Maynier d’Oppède écrit au commissaire Berthelot pour lui rappeler qu’il doit faire abattre les murailles de Gordes où, à cette date, on sait que vingt-cinq Vaudois sont emprisonnés. C’est dans le même temps que le seigneur de Venelles, parent de Maynier d’Oppède, a pris et pillé, à Gordes, comme il l’a fait aux Beaumettes, à Goult, à Lacoste bœufs, bétail, mules, chèvres et fourrages qu’il a emmenés au château d’Oppède. J-L. Morand (notes d’histoire sur Gordes page 68) indique : « Il parait fort curieux, alors que tous les villages environnants ont eu leur part de destructions et de massacres, que Gordes, qui comptait réellement de nombreux sympathisants vaudois et qui s’était signalé à l’attention plusieurs fois, n’ait pas été inquiété. Quoi que l’on ait dit, il ne fait pas partie des vingt-quatre villages martyrs.». Cela n’empêcha pas la campagne d’être ravagée.

 

Gordes a pu être épargné parce que le village est situé sur un éperon rocheux difficilement accessible et bien fortifié. Cela est, sans doute dû, aussi à la protection du seigneur de Gordes, Bertrand-Rambaud IV de Simiane, baron de Caseneuve et Gordes. Celui-ci était un puissant personnage. Il sera maître des Requêtes en 1548, président du Grand Conseil en 1551 et ambassadeur à la Cour de Rome en 1556. Alors que son fils Jean-Baptiste, pourtant évêque d’Apt se ralliera à la Réforme en 1560, Bertrand-Rambaud II restera enraciné en la foi catholique.

 

L’implantation de la Réforme

Pendant les guerres de religion (1560-1598), Gordes fut une place forte importante : le parti catholique y avait de grosses garnisons pour ôter toute envie de soulèvement, aidé en cela par le seigneur lui-même, resté catholique.

Du fait des fortes implantations vaudoises, Gordes devint après les guerres de religion, un des principaux centres du Protestantisme dans la vallée du Calavon et la région d’Apt. Une véritable Eglise Réformée s’était établie à Gordes dès 1560, avec un consistoire et des pasteurs, qui se succédèrent avec plus ou moins de régularités jusqu’à la Révolution. Jusqu’en 1605 le pasteur de Gordes desservait aussi Joucas, Roussillon et Murs (villages vaudois). Il y a deux lieux de culte : le plus ancien est la bastide de Jean Peyron « alias Michelons » où se dérouleront les cultes et consistoires jusqu’en 1658. Lors de la destruction des temples de la région en 1663, c’est la Chambre Haute de la « Grange des Michelons » qui sera détruite. Avant 1665, un autre lieu de culte, convenant mieux, avait été acquis par la paroisse : la maison de Jacques Anastay aux Gros. C’est ce que nous révèle un document exceptionnel et riche en renseignements : « le livre des comptes de l’Eglise Réformée de Gordes de 1623 à 1679 ».

 

La paroisse réformée de Gordes et son livre de comptes 1580-1685

Ainsi que nous le disions précédemment, Gordes devint, après les guerres de religion, et de part les fortes implantations vaudoises existantes, un des principaux centres du protestantisme dans la vallée du Calavon et la région d’Apt. Le livre des comptes de cette paroisse retrace un fragment de sa vie, entre 1620 et 1679. On peut y voir les difficultés rencontrées tant pour avoir un pasteur que pour créer un lieu de culte, équilibrer un budget, faire respecter « la discipline » de l’époque, se défendre contre les « vexations » et attaques de la hiérarchie romaine ou des « papistes » et aussi résoudre les problèmes entre les paroissiens et éviter le « scandale » et la « paillardise » Nous avons là une telle densité de renseignements qu’elle fournira matière à plusieurs articles. Nous commencerons par l’histoire des différents pasteurs qui ont exercé leur ministère dans ce lieu, depuis l’installation de la Réforme jusqu’à la révocation de l’Édit de Nantes.

Jean Bouer est pasteur à Mérindol en 1580, à Gordes en 1583 et ensuite à Joucas. Daniel Chamforan, natif d’Angrogne (Piémont), est pasteur à Gordes de 1598 à 1608 ; il dessert aussi Joucas et Roussillon. Il sera député au Synode National de la Rochelle en 1607. Les trois Eglises réunies lui versaient un traitement de 500 livres. André Guérin est le premier pasteur que nous trouvons dans le livre des comptes en 1623. Il exerce à Joucas et dessert également Gordes et Murs. En accord avec les paroissiens, « le dit pasteur viendra un dimanche sur trois et en semaine pour bénir les mariages et baptêmes de l’Eglise de Gordes. « Il recevra 428 livres d’appointements et l’Eglise lui fournira une chambre, un lit, et une étable pour sa monture. » En 1624, l’assemblée convoquée donne son accord pour le mariage de Jean Anastay avec Isabeau Faure.

L’arrêt du conseil du Roi Louis XIII en 1634 interdit l’exercice à Gordes, Joucas et Lacoste et fit défense à André Guérin de prêcher. Le livre des comptes reprend en 1637 (levée de l’interdiction) avec le pasteur Chabrand, nommé par le synode de Seyne-les Alpes. On lui accorde 100 écus par an, et 10 écus « pour aller quérir ses livres et ses hardes ». François Vallanson est nommé en 1639 par le synode de l’Arben en Dauphiné. En 1640, les Réformés de Lacoste et Gordes se réunissent pour convenir que le pasteur Vallanson doit demeurer parmi eux durant 6 années. Ils demandent au pasteur de ne pas les laisser ni quitter pour quelque avantage ou profit qui puissent lui être présentés, et réciproquement, les habitants de « Gordes et Lacoste se sont promis mutuellement de demeurer durant ces 6 années, unis et conjoints et de ne faire qu’une seule et même Église » afin d’avoir les moyens d’entretenir leur pasteur. Après l’invocation du Saint nom de Dieu, les anciens, réunis aux « Granges des Michelons » décident d’une cotisation volontaire et une liste de 82 personnes est dressée pour la contribution de chacun. Un an après, le consistoire décide de contraindre certains cotisants qui refusent de payer ce qu’ils avaient promis.

 

Le 2 septembre 1640, accord des anciens pour la célébration du mariage de Philip Arnaud, précédé de l’abjuration du catholicisme par Catherine Damasse, sa future épouse. La persécution redouble à partir de 1643. Les querelles avec les « papistes » vont s’intensifier et la paroisse des Gros va devoir se défendre contre les attaques du clergé, de l’évêque de Cavaillon et du commandeur de Joucas, qui veulent interdire l’exercice du culte réformé aussi bien à Joucas qu’à Gordes. Nous constatons que par des mesures restrictives et vexatoires, la Révocation de l’Édit de Nantes se prépare. Après le prêche de Théophile Poyet, pasteur en 1654, le consistoire décide de fixer la cotisation de chaque paroissien pour l’entretien du pasteur, sur la base des possessions de chacun qui sont inscrites au cadastre.

Lors d’une réunion des anciens, il est dit que « Barthélemy Anastay et Françoise Aguitton ont souffert au grand scandale de l’Église, une fréquentation trop libre de leur fille Suzanne avec Laurent Robert. Malgré les exhortations de M. Poyet, ministre de rompre cette fréquentation » Il en résulte « paillardise notoire ». Il a fallu bénir le mariage. Les parents et les jeunes gens, après s’être fait sermonner, se repentent « genou à terre » et pour punition de leur « péché scandaleux » sont privés de Sainte Cène.

Le 25 août 1658 « aux Granges des Michelons » clôture du compte d’Antoine Robert trésorier pour l’année 1656. Ce même jour, on demande l’avis du Consistoire pour « observer l’ordre convenable en l’Église de Dieu, à la distribution de la coupe les jours de la communion ». Un tour de rôle est établi pour septembre, Noël, Pâques et Pentecôte. Le 28 mai 1664, règlement d’un différent survenu entre Pierre Anastay et les frères Philippe et André Arnaud, en présence du pasteur Poyet. Le consistoire écoute leurs plaintes et justifications afin de rétablir la paix. « Et cependant, parce qu’ils en sont venus à des extrémités blâmables, et qu’ils ne peuvent qu’avoir haine les uns contre les autres, et ne témoignent pas vouloir être en disposition de pardonner et de s’aimer, la compagnie leur a défendu de se présenter à la table du Seigneur et décide de soumettre cette affaire à l’assemblée de Mérindol ». C’est avec la réunion du consistoire le 15 novembre 1679, et la nomination du pasteur Etienne Villet sur les paroisses de Lacoste, Gordes et Joucas que s’achève le livre des comptes de la paroisse de Gordes.

Quelques points essentiels à retenir de l’étude de ce livre

Tout d’abord, une meilleure connaissance du fonctionnement détaillé d’une paroisse protestante au XVIIe siècle ; de son organisation bien réglée entre Consistoire des « Anciens » et Pasteur, pour la répartition de l’exercice du ministère entre les différentes paroisses et pour la tenue de comptes financiers précis pour l’entretien du ministre, rendus régulièrement.

Ensuite, nous pouvons relever les difficultés de recrutement de ces pasteurs, jointes aux tracasseries administratives qui, au fil des ans, contraignirent souvent à fusionner plusieurs communautés telles que Gordes, Joucas, Murs, Lacoste, Roussillon desservies par un seul pasteur. Ces communautés n’en constituent pas moins de véritables « Églises ». Dans la discipline des Églises issues de la Réforme, l’Église est la communauté des croyants et non un bâtiment. Il existe des Églises sans temple et des Églises sans pasteur. Dès lors que les fidèles se réunissent pour prier ensemble et lire la Parole de Dieu, ils constituent une Église. Gordes était donc bien une Église, quoique desservie de temps en temps par le pasteur de Lacoste…

Enfin, et c’est essentiel, nous avons la confirmation du fondement vaudois de cette paroisse avec l’implication des familles Robert alias « Gros » qui sont à l’origine du hameau des Gros et Peyron alias « Michelon » dont la bastide sera le lieu de culte accoutumé.

 

Lieux de culte, d’après le livre des comptes de la paroisse de Gordes – les Gros Les fidèles se réunissent pour prier ensemble, lire la Parole de Dieu dans des granges (maison ou ferme) et bastides. Dans ces lieux, après le prêche, le consistoire se réunit pour aborder tout ce qui concerne la vie de la paroisse : les problèmes financiers, la discipline et la moralité, la recherche d’un lieu de culte et les difficultés rencontrées pour le maintien de son exercice…

Il y a de nombreuses réunions aux « Granges des Michelons » (situées à 1 km des Gros) à partir de 1637, et quelquefois aux « Granges des Gros », chez différents paroissiens. A plusieurs reprises, on trouve dans le livre des comptes des dédommagements versés aux propriétaires des lieux de culte. Ainsi en 1631, une somme d’argent est versée pour la location de la « grotte » d’A. Gros, habitation troglodyte creusée dans le rocher. On en trouve encore aujourd’hui aux Gros, transformées en caves. En 1641, les Anciens, réunis aux « Granges des Michelons » font les comptes avec « le mestre d’esquolle » de l’Église Réformée de Gordes–les-Gros, et versent 3 livres à Jean Peyron pour l’usage de sa maison ; en 1659 Barthélémy Bourgue, trésorier, verse à Barthélémy Peyron 8 livres pour la location de la Bastide des Michelons où a lieu la prédication. Les frères Jean et Paul Peyron, anciens de l’Église, et propriétaires de cette bastide, sont très présents et actifs dans la paroisse. C’est dans leur maison principalement que va s’exercer le culte réformé de 1637 à 1658. Et c’est dans ce lieu que se tiendront également les réunions du consistoire avec les anciens des paroisses de Lacoste, Murs, Joucas, et Gordes. On s’y réunit pour régir les problèmes financiers et ceux liés au maintien de l’exercice du culte. On y fait les comptes avec le trésorier et on règle les appointements du pasteur.

Nous constatons ainsi, qu’il y a de nombreuses réunions aux Michelons, mais une transition semble s’amorcer à partir de 1642 puisque les cultes vont se faire de temps en temps aux granges des Gros, chez des particuliers dont les noms sont quelquefois cités. En 1652, les Anciens cherchant un autre lieu convenant mieux, décident de faire un appel de fonds en vue de la construction d’un temple. Ce projet n’ayant pas abouti, le consistoire décide en 1656, d’acheter la maison de Jacques Anastay, pour en faire leur lieu de culte. Dans un très beau sermon, le Pasteur Poyet montre la détermination du pasteur et des Anciens pour soutenir les fidèles dans ces circonstances assez difficiles. En effet l’évêque de Cavaillon et le parlement de Provence ne cessèrent de leur contester le droit d’exercice du culte réformé.

Voici l’intégralité du texte prononcé par le pasteur Poyet, dans sa langue d’origine (français classique) pour faciliter la compréhension : « Dieu qui, par un effet de sa sagesse incom-préhensible aux anges et aux hommes, a établi en temps (au temps voulu) une Église dans le monde pour lui être un peuple pécattier (pécheur), envers lequel se démontre les merveilleux ressorts de sa sacrée Providence, ne l’a jamais abandonnée, lors même que toutes choses ont semblé aux yeux des hommes charnels (ceux qui raisonnent selon l’esprit du monde et non selon l’esprit du Christ) désespérées pour elle. Mais l’ayant conduite par l’Esprit de sa Sainteté pour les choses qui concernent la foi et le salut, a aussi toujours déployé, en une riche abondance envers elle, les grâces du même Esprit, en prudence et sagesse pour sa conduite. Lui ayant non seulement donné les uns pour être apôtres, les autres prophètes, les autres évangélistes, les autres pasteurs et docteurs, pour l’assemblage des saints, pour l’œuvre du ministère et pour l’édification du Corps du Christ, il lui a aussi donné des anciens pour veiller sur les troupeaux du Seigneur. Mais aussi il a donné sa grâce à (tout) un chacun, selon la mesure du don du Christ, afin que, appartenant au Dieu de paix et de charité, elle soit aussi (la grâce) entretenue et augmentée par la charité. Ce sont les grâces que nous, pasteur et anciens de l’Eglise réformée de Gordes, avons ressenties d’une façon particulière en l’administration du petit troupeau qu’il a plu à Dieu avoir confié à notre soin. Car ayant été sollicité durant quelques années par tous les membres d’icelui à nous employer à la construction d’une maison pour le service de Dieu, après avoir été retardés pour quelque temps de vaquer à une œuvre si importante et de si grave considération, enfin toutes choses mûrement pesées par nous assemblés plusieurs fois en Consistoire sous la faveur du Père de miséricorde, nous nous sommes assignés (réunion statutaire sur convocation) aux Granges de Gordes, dit les Gros, pour terminer une affaire si souvent proposée.

Où, après l’invocation du Saint Nom de Dieu, ayant jeté les yeux sur plusieurs places qui fussent propres (appropriées) pour parachever notre dessein, ne s’en étant rencontrée aucune plus convenable, de par l’avis de nous tous, ni plus agréable au général (à l’ensemble) du troupeau qu’une maison avec cour au devant et cour à l’arrière, que sieur Jacques Anastay a et possède au terroir de Gordes et aux dites Granges des Gros…»

Suivent alors les données sur la situation cadastrale de la maison enfin trouvée. On ne peut qu’admirer la force spirituelle d’une telle prédication, parfaitement en phase avec la situation difficile que vivaient ces fidèles réformés. Il fallait leur donner, non seulement les arguments pour résister à la propagande catholique, mais la volonté et la force morale pour le faire. Il s’agissait de faire grandir leur foi, comme leur seul point d’appui.

 

Les réunions et cultes vont se poursuivre aux Michelons jusqu’en août 1658, malgré l’achat de la maison Anastay en 1656 pour laquelle la paroisse paie les impôts en 1661 et en 1665. Elle n’est citée qu’une fois, dans le livre des comptes. En 1679, le dernier consistoire dont il est fait état dans ce volume a lieu dans la maison de J.Anastay aux Gros.Elle n’a donc pas été touchée, en 1663, lors de la destruction des temples du Luberon, car c’est « la plus haute chambre de la Bastide des Michelons » qui sera démolie.

En conclusion, on remarquera que le culte se faisait à tour de rôle dans des maisons, bastides dites « granges » des habitants réformés, selon la coutume vaudoise. La bastide de Jean Peyron aux Michelons a été désignée comme le lieu accoutumé de réunions et de culte pendant plus de vingt ans, de 1637 à 1658, avant l’achat par la paroisse de la maison Anastay aux Gros en 1656. Ces deux lieux ne sont pas des temples, comme ceux que nous trouvons dans les autres paroisses du Luberon. On parle donc, souvent à tort de deux temples dans la paroisse de Gordes les Gros. A aucun moment, dans le livre des comptes, il n’est fait allusion à l’aboutissement du projet de construction d’un temple aux Gros, et encore moins à sa destruction. C’est seulement en 1834 qu’un temple sera construit aux Gros.

Destruction du lieu de culte de Gordes-les-Gros

L’Édit de Nantes, 1598 signé par Henri IV pour mettre fin aux guerres de religion, permit une liberté toute relative aux Réformés. Il précisait la soumission « des causes des Protestants de Provence à la chambre du Dauphiné ». Bien que reconnu par les commissaires exécuteurs de l’Édit, le droit de l’exercice du culte réformé fut sans cesse contesté par l’Évêque de Cavaillon, le clergé et le parlement de Provence (Aix), refusant souvent de reconnaître les arrêts de la chambre de l’Édit de Grenoble. Les poursuites et vexations continuèrent, redoublant à partir de 1643, obligeant la communauté à de continuelles «requêtes et procès».

Le 19 janvier 1640, les Anciens du Consistoire de Gordes «délibèrent sur les vexations qui sont données à leur Église par les papistes qui veulent leur ôter l’exercice du culte dont ils jouissent depuis longtemps». Ils demandent au pasteur Vallenson d’aller consulter «les Messieurs d’Orange et de Grenoble» pour résoudre ce problème. Les Églises de Provence l’enverront également à la Cour de France, en 1643, afin de défendre leurs droits. Pour régler les frais de voyage, deux paroissiens sont chargés de faire «la cueillette» (collecte) des fonds.

Le 20 mars 1651, requête de l’évêque de Cavaillon : un arrêt du Parlement de Provence défendit aux habitants réformés de Gordes leur exercice de culte. Le problème est si grave que, à l’Assemblée des fidèles, de Gordes et Joucas s’adjoignent les frères de Lourmarin, de Mérindol, d’Eyguières : le 4 mai 1651, un recours en cassation sera déposé devant la chambre de l’Édit de Grenoble. L’Assemblée désigne cinq paroissiens pour suivre cette affaire, «et même d’emprunter si nécessaire pour prendre en main ce conflit» : emprunt de 150 livres décidé et création d’une commission pour rendre compte «quant au procès intenté par l’évêque de Cavaillon». Le montant des contributions pour ce seul procès va croissant. Le consistoire demande des cotisations supplémentaires aux paroissiens. Le livre des comptes mentionne les sommes empruntées à Pierre Doucende d’Orange, et le remboursement des frais de plusieurs voyages à Aix et à Grenoble. Déplacements soit du pasteur, soit des délégués de la paroisse.

Le 2 août 1651, la Chambre de l’Édit cassa l’arrêt rendu par le parlement d’Aix, constatant le défaut de l’évêque, cité à comparaître et l’exercice du culte fut maintenu, dans l’attente de sa comparution et des arguments qu’il pourrait développer sur l’examen des actes de possession (du culte) produits par les protestants. La Chambre de l’Édit, par cet arrêt, défend à l’évêque de Cavaillon de se pourvoir ailleurs que par devant elle pour les faits en question. Il lui «sera fait défense de venir troubler les Réformés sous peine de 3 000 livres d’amendes et la cour le menacera d’être jugé pour infraction aux Édits et perturbateur de l’ordre public».

1662 : nouvelle opposition contre les Églises réformées, de Gordes et alentours. Les syndics du clergé de Provence demandèrent aux commissaires exécuteurs de l’Edit de Nantes la démolition des temples et la suppression du culte réformé dans de nombreux villages (Gordes, Lacoste, Joucas, Gignac, Sivergues, etc.). Arrêt du 4 mai 1663 : le Roi Louis XIV, statuant en son conseil, ordonna la démolition du «temple de la bastide des Gros» et la suppression de l’exercice du culte. Interdiction également d’avoir des écoles, de chanter des psaumes ; enterrements soit au lever, soit au coucher du soleil, et limitation du nombre de participants. Interdits collectifs mais aussi individuels : défense d’exercer certaines professions (la santé ou le droit). Quelques concessions accordées : les Réformés conserveront leurs cimetières et seront admis à l’hôpital.

A Gordes, on ne détruit pas un temple (d’après le Livre des comptes, ce projet de construction n’a jamais abouti) mais la maison d’un membre de la paroisse, Jean Peyron : la «plus haute chambre» de sa bastide des Michelons servait de lieu de réunion et de culte depuis 1637. La maison de Jacques Anastay achetée en 1656 n’a pas été touchée par cet arrêt, un consistoire s’y réunit en 1679. L’Intendant de Provence, commissaire exécuteur de l’Edit de Nantes, est chargé de faire appliquer l’arrêt royal. 1664, le livre de comptes fait état des sommes à payer à Barthélemy Peyron, (héritier de J.Peyron) suite à la démolition de sa «grange», par autorité du Roi, les frais de cette démolition «par ordre des officiers de Forcalquier», étant à la charge de la paroisse. Une contribution financière sera exigée auprès de la communauté, pour dédommager B.Peyron, propriétaire de la «bastide des Peyron» aux Michelons. Cette affaire traîne jusqu’en 1667 : Peyron sera indemnisé, en présence des Anciens et de Pierre Challier, ministre.

En conclusion, l’étude du livre des comptes de la paroisse fait ressortir l’acharnement et la ténacité de ces Réformés d’origine vaudoise pour se défendre contre les requêtes de l’évêque de Cavaillon et maintenir l’exercice de leur culte. «Il n’y a rien de nouveau sous le soleil» dit l’Ecclésiaste. Comme certaines paroisses de nos jours, la communauté de Gordes, au XVIIème siècle, se trouve toujours avec des dettes, le montant paraît élevé par rapport aux sommes collectées. La destruction du lieu de culte n’a pas pour autant entraîné sa suppression, l’Église, pour les Réformés, n’étant pas le bâtiment mais la communauté des croyants. Deux autres pasteurs vont succéder à Théophile Poyet : Pierre Chalier de 1665 à 1672, et Etienne Villet de 1672 à 1680.

Malgré l’interdiction royale de l’exercice du culte réformé, ces anciens vaudois vont continuer leurs pratiques religieuses. Les assemblées du consistoire et les cultes vont se poursuivre dans d’autres maisons, chez les habitants protestants du hameau des Gros, selon la coutume de leurs ancêtres. Ainsi s’achève le livre des comptes de l’Église Réformée de Gordes, de 1623 à 1679.

La communauté protestante de Gordes-les Gros (1679-1787)

Après la destruction de leurs lieux de culte, les Réformés de Gordes assistent au culte à Mérindol (seulement démoli en 1685). Ils y retrouvèrent leurs anciens ministres, Théophile Poyet et Etienne Villet, s’y marièrent et baptisèrent leurs enfants dans la religion protestante. Ils se rendaient au prêche le dimanche en traversant le Luberon et se joignaient aux Huguenots de Lacoste. Ceux-ci prenaient un malin plaisir à fouler au passage les terres dépendant des Carmes du couvent de St-Hilaire. Provocations, d’où des incidents, faits relatés (manuscrit de 1667), suite à la protestation des religieux. (Archives Calvet Avignon)

Abjurations ou exil 1685 : la Révocation de l’Edit de Nantes. A Gordes, comme ailleurs, cela signifiait exil et clandestinité pour ceux qui n’avaient pas voulu se convertir. Les persécutions s’intensifièrent avec l’arrivée des Dragons, compagnies logées chez les Religionnaires à leurs frais. Terrifiants récits colportés à leur sujet : la peur s’installa, on assista à des abjurations collectives à Murs, Mérindol et Joucas.

 

 

Du Fond notarial à Gordes disparu en 1944, on a peu de témoignages de cette période sur Gordes-les Gros. Par recoupements à travers différents actes dans d’autres études, nous avons découvert des éléments au sujet des « abjurations ». Également, avant 1685, dans les registres paroissiaux catholiques, les patronymes vaudois sont quasiment inexistants et sont très nombreux après cette date. On peut conclure à un grand nombre d’abjurations à Gordes et dans les autres paroisses réformées. L’empressement à abjurer et l’accomplissement des actes de catholicité signifient-ils que la population s’était donc soumise ? Il n’en était rien. Anciens Vaudois, les Réformés ont répondu, non par la violence, non par l’insoumission, mais par une adhésion de façade, tout en sauvegardant dans leur for intérieur leur foi et leurs convictions inébranlables.

Certains Protestants de Gordes prirent le chemin de l’exil devenant «fugitifs du royaume». On trouve dix-sept Gordiens inscrits dans les registres d’assistance aux réfugiés de plusieurs villes suisses. Noms, professions et destinations des exilés (Allemagne, Hollande) sont inscrits dans ces registres ; mais nous pensons que les Réformés de Gordes sont peu partis, car majoritairement propriétaires terriens, tout abandonner était un choix difficile. Partir pour s’installer ailleurs était puni «de confiscation de corps et de bien». Ceux qui sont restés se tenaient relativement tranquilles, apparemment soumis, entrant dans une certaine clandestinité, se réunissant à l’écart des lieux habités «au désert», expression biblique, pour célébrer le culte.

Le Désert

La période dite «du Désert» commence après la mort de Louis XIV en 1715. Des pasteurs venus du Languedoc visitaient régulièrement les fidèles, prêchaient dans la montagne et rassemblaient des foules considérables. L’un d’eux François Roux prêcha aux Beaumettes en 1735. Passages surveillés et réprimés ; d’où procès et emprisonnements pour la population de Mérindol, Lacoste et Gordes. Les communautés protestantes du Luberon ne cessaient de croître. Elles se fortifièrent mutuellement et résistèrent aux tentatives de conversion. Après 1750, abandon des mesures répressives : l’effort porte sur les enfants devant obligatoirement suivre le catéchisme. Désobéissant à cet arrêt, les parents subissaient des sanctions.

A partir de 1765, la répression se relâcha, les pasteurs pouvaient exercer ouvertement et les paroisses retrouvèrent leur vitalité (en témoignent les registres protestants de Lacoste). Nous y trouvons les baptêmes et mariages d’une partie des Réformés de Gordes-les Gros à partir de 1759. Entre 1776 et 1787, on enregistre 2 000 naissances d’enfants protestants, dont une centaine à Gordes et trente à Joucas. En 1787, l’Édit de Tolérance va accorder un état civil aux protestants, qui feront enregistrer baptêmes, mariages et décès, et nous retrouvons, dans ces déclarations, les familles restées fidèles à leur foi. Nombre d’enfants baptisés catholiques à Gordes vont se marier dans la «Religion Prétendue Réformée» ensuite. La liberté du culte sera établie en 1791.

La renaissance de la communauté protestante des Gros

En 1787, Louis XVI signe l’Édit de Tolérance qui permet aux Protestants d’enregistrer naissances, mariages et décès. Bien souvent, ces déclarations se font devant notaire. Les archives notariales de Gordes ayant brûlé pendant la dernière guerre, nous avons peu d’éléments à ce sujet. Les registres paroissiaux de Lourmarin notent quelques déclarations de mariage pour la paroisse des Gros.

Ainsi les Protestants viennent d’acquérir un état civil, mais la religion catholique continue de jouir seule, du culte public dans le royaume. L’Assemblée Nationale, par la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, rendra la liberté à laquelle ils sont en droit de prétendre, et la constitution de 1791 rétablira la liberté du culte réformé. L’Eglise Réformée de France sera une « Église Nationale » avec des pasteurs fonctionnaires, nommés et rétribués par le Ministre des Cultes jusqu’en 1905.

Organisation et fonctionnement de l’Église

L’Église Réformée est organisée en consistoire (loi de 1802) jusqu’à la séparation de l’Église et de l’État en 1905. Les paroisses ne sont que des sections de cette Église. Pour le Vaucluse, le gouvernement accorde trois pasteurs, et on répartit les communes en trois sections.

– 1ère section : Lourmarin chef-lieu de l’Église Consistoriale, avec les communes de Puyvert, Cadenet, Lauris et Vaugines, Mérindol avec son annexe de Puget. Le choix de Lourmarin comme chef-lieu s’explique par le nombre de Protestants de la localité (environ 1300), le plus élevé de tout le département.

– 2ème section : La Motte d’Aigues avec les communautés du pays d’Aigues, et Lacoste avec les annexes de Gordes (Les Gros) et Sivergues et les communes de Buoux, Goult, Joucas et Roussillon. De par la difficulté de desserte de cette section, elle n’aura son premier pasteur qu’en 1812 : ce sera le pasteur André Blanc à la Motte d’Aigues. La préoccupation constante du consistoire de Lourmarin sera d’obtenir du gouvernement de nouvelles places de pasteur en faisant valoir les difficultés de déplacement à travers Le Luberon.

– 3ème section : Orange et Avignon. Le décret de 1852 va créer des paroisses administrées par un conseil presbytéral et un pasteur, mais restent sous la tutelle du Consistoire (Lacoste en 1829, Mérindol en 1828, Cabrières d’Aigues en 1836, Peypin d’Aigues en 1847, Les Gros en 1865).

Construction du temple de la paroisse des Gros

En 1820, le sous-préfet d’Apt déclare que dans son arrondissement, la meilleure intelligence règne entre catholiques et protestants. 110 familles à Gordes, représentant dix noms : Bourgue le plus porté, Peyron et Martin, puis Viens, Perrottet, Robert, Anastay, Gaudin, Appy, Briquet. Alors que les autres temples du Luberon seront construits successivement (Mérindol en 1808, Lourmarin en 1813, La Motte d’Aigues en 1817), à Gordes les fidèles doivent se réunir dans des maisons appartenant à des particuliers et parfois même en plein champ. Cette communauté va devoir montrer, une fois de plus, sa ténacité pour obtenir la construction d’un temple et la nomination d’un pasteur.

Jérôme Tamisier, entrepreneur à Apt, fera les plans du temple des Gros. Une subvention municipale est votée à hauteur de 1 000 F. Un document signale, au titre des dépenses extraordinaires du budget de 1837, à Gordes, une « indemnité aux religionnaires protestants pour la construction de leur temple suivant la délibération du Conseil municipal du 21 février 1836, approuvée par le Préfet le 17 mars suivant ». Un terrain est donné par une famille Bourgue pour ce bâtiment et une souscription de 1 800 F étalée sur cinq ans est faîte auprès des paroissiens qui s’engagent à transporter gratuitement sur le terrain, tous les matériaux nécessaires à sa construction (entre 1833 et 1839).

En 1840, le consistoire de Lourmarin demande la création d’un poste de pasteur aux Gros. Cette demande restera sans suite, et le pasteur Etienne Floris (nommé en 1831 à Lacoste) devra desservir cette paroisse. Il visite ses paroissiens à cheval et doit franchir à gué le Calavon deux fois par mois pour assurer le culte aux Gros. Il doit aussi se rendre à Apt et Joucas. Nouvelle demande en 1843 : le conseil municipal est favorable, mais le curé de Gordes s’y oppose. Ce n’est qu’en 1865 que la paroisse des Gros se verra attribuer un pasteur titulaire, bien qu’elle possède un temple depuis 1837.

En 1868, on comptait à Gordes, selon un rapport du commissaire de police, 300 protestants « qui se conduisent toujours très bien, ils composent l’élite de la population campagnarde de la commune ».

Les écoles protestantes

La complète émancipation de l’Église Réformée vient avec la Révolution de 1830, quand le protestant Guizot arrive au poste de ministre des Cultes et de l’Éducation. Il déclenche, en France, l’ouverture d’établissements scolaires. Les Réformés ont toujours eu à cœur d’apprendre, à leurs enfants, à lire et à écrire, car il était important de pouvoir lire la Bible. Déjà, entre 1620 et 1679, les livres des comptes de cette paroisse, note la rétribution d’un régent d’école aux Gros. Fidèles à cette tradition, les Protestants de ce lieu, ont perpétué cette pratique. Un courrier, adressé aux habitants des Gros, témoigne de l’importance accordée à l’instruction des enfants. Notre ancêtre Daniel André Bourgue « dit le Gros » a eu 6 enfants et avait à cœur de les instruire. Il loua pour eux un maître d’école qui était logé dans une dépendance des Michelons. Ainsi, dès 1825, une école protestante existe déjà dans ce hameau, proche des Martins. L’instituteur est Joseph-André Roman, 23 ans, originaire de Lourmarin. Les autres enfants du quartier bénéficient aussi de ce même instituteur. Grâce à son esprit d’initiative, Daniel André Bourgue, « dit le Gros » les accepte soit gratuitement soit avec participation aux frais (bois, farine, légumes) suivant la situation de fortune de chacun. Monsieur Roman quitte cette école en 1859, après 34 ans d’activité. En remplacement, une école protestante mixte ouvre ses portes aux Gros en 1862 avec 40 élèves protestants et catholiques.

La maison de l’ancienne école protestante aux Gros aujourd’hui

En 1874, des cours pour adultes sont ouverts. Plusieurs institutrices s’y succèdent. La dernière Aline Gachet, 28 ans est très estimée. (Archives familiales « Au nom du Conseil Presbytéral des Gros, Monsieur André Bourgue, trésorier, est autorisé à payer à Melle Aline Gachet, institutrice aux Gros, la somme de cinquante francs, à prendre sur les fonds de l’Eglise, fait aux Gros le 13 février 1873. Signature le président du conseil : Le pasteur Baudoin » Eglise Réformée des Gros – Consistoire de Lourmarin). Cette école deviendra publique par la suite, avant son transfert en 1895 aux Michalons.

Ecole publique des Michalons

Loi de séparation des Églises et de l’État en 1905

En 1905 l’église protestante des Gros se rattache à celle de Lacoste pour former « L’Association Cultuelle, Lacoste, les Gros et Apt » dont le siège est aux Gros. Elle possède une bibliothèque de 350 livres. Les biens mobiliers de la paroisse des Gros et Lacoste lui sont transférés : bancs, harmonium, chaire à prêcher, poêle … On y trouve une seule rente annuelle de 43 francs du pasteur Floris. Le président de l’association est Calixte Bourgue. Notre grand-père Daniel Bourgue en sera trésorier et le pasteur Léon Boidevezi succèdera à Louis Bresson.

En 1888, s’y rattache l’Isle sur Sorgue, et en 1959, est créée l’union officielle des paroisses des Gros, Lacoste, Apt et Mérindol. De 1912 à 1918, ce sont à nouveau des ministres du pays d’Aigues, comme dans les premiers temps, qui desservent la paroisse des Gros, de Lacoste et d’Apt. Ainsi, le pasteur Albert Brenez, (notre grand-père maternel) en poste à Peypin d’Aigues, de 1912 à 1915, traversera régulièrement le Luberon en vélo, pour assurer le culte aux Gros.

Conclusion

Cette communauté, fortement imprégnée par ses origines vaudoises et marquée par les persécutions, a su retrouver un certain dynamisme malgré l’opposition toujours persistante du clergé catholique tout au long de cette période de renaissance. En effet, en 1924, le curé de Gordes se plaint toujours de la présence des Protestants dans les hameaux où « ils exercent une influence néfaste sur les catholiques…. » Cette animosité s’estompera au fil des années. La présence protestante est encore forte en 1974, car on comptait Gordes parmi les localités du Nord Luberon qui avaient le plus fort pourcentage de population protestante…

 

Marion et Magali Bourgue

 

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