En 1598, Henri IV signe l’Edit de Nantes qui donne une existence légale aux protestants, et leur garantit leurs droits civils et la liberté de leur culte. Cela va leur permettre de construire des temples et d’obtenir des cimetières car l’inhumation d’un protestant considéré comme « hérétique » était devenu impossible dans le cimetière paroissial qui est un « lieu saint » pour les catholiques. Cette période de tolérance ne va pas durer…Les ordonnances des commissaires exécuteurs de l’Edit de Nantes nommés par le roi le 16 avril 1661 aggravèrent le sort des réformés de Provence et les privèrent d’un grand nombre de leurs exercices et lieux de culte. L’arrêt du conseil du roi du 4 mai 1663 précise, entre autre, les conditions dans lesquelles les ensevelissements des réformés seront à l’avenir tolérés.
Voici un extrait du registre du conseil d’Etat concernant le nord Luberon. Il s’agit entre autre, de La Coste, Gignac, Ongles, Oppedettes, Sivergues, Joucas, Gordes et la Bastide des Gros Article 9 « les enterrements des morts des dits de la RPR ne pourront être faits en lieux susdits que dès le matin à la pointe du jour ou le soir à l’entrée de la nuit….. sans qu’il puisse assister plus grand nombre que de 10 personnes des parents amis du défunts, suivant les édits, avec défense de faire aucune harangue funèbre aux portes des maisons, ni chanter de psaumes avant ou après » Article 12 Quant aux cimetières des dits de la RPR des dits lieux, ils en jouiront comme par le passé. Et à cette fin, sa Majesté les confirme dans la possession où ils en sont petit à petit la liberté de culte des protestants sera restreinte par le pouvoir, leur rendant de plus en plus difficile leur vie matérielle et spirituelle. Louis XIV révoque l’Edit de Nantes en 1685. Les temples et les cimetières protestants seront détruits. « Sa majesté, écrivait le Conseil du Roi aux intendants, ne veut pas qu’il y ait d’endroit marqué pour les enterrements de ceux de ladite religion et chacun pourra les enterrer ou bon lui semblera ». Les réformés « nouveaux convertis », suite aux abjurations forcées du fait des dragonnades, vont entrer dans une période de clandestinité spirituelle et mener une double vie : naissant et se mariant catholique mais mourant dans leur religion pour échapper à l’ultime sacrement catholique : la mort n’étant pas un sacrement dans la religion réformée. Les prêtres consignent les décès dans les registres mais ils ne peuvent procéder à l’inhumation de ces « nouveaux convertis » dans le sol consacré du cimetière paroissial. Les protestants seront alors inhumé clandestinement « aux champs ». L’enterrement « dans les terres » s’imposa donc en cas de refus de la sépulture ecclésiastique par le curé. Ainsi dans le cas de Gordes, 57 cas de refus sont recensés entre 1739 et 1788. C’est là l’origine des cimetières privés : chaque famille protestante va affecter un espace de sa propriété pour recevoir la sépulture familiale: quelques tombes dans un jardin, un pré, un espace non cultivé, enclos ou non par des murs, parfois signalées par un arbre. Les régions à forte densité protestante sont littéralement truffées de tels cimetières, chaque famille ayant le sien. Pas de caveau, ici, sauf exception, mais des tertres très simples, des fleurs, des pierres tombales comprenant parfois un verset biblique. Peu à peu, la situation s’adoucit et les cimetières protestants sont autorisés. A partir de 1760, une certaine tolérance s’installe et les communautés réformées peuvent réaffirmer à nouveau, leur foi publiquement. L’Edit de tolérance de 1787 va donner un état civil aux protestants qui retrouvent ainsi une existence légale en conformité avec leur foi. La Révolution, et ensuite Napoléon vont clarifier la situation et les statuts des cimetières. Le décret du 12 juin 1804 légalise le droit à la sépulture privée, instaurant le terme d’« inhumation en propriété ». Ce décret codifie les implantations des cimetières comme les procédés d’inhumation. Il stipule que « toute personne pourra être enterrée sur sa propriété pourvu que la dite propriété soit hors et à la distance prescrite de l’enceinte des villes et des bourgs ». La loi du 14 décembre 1981 abroge les cimetières confessionnels et crée des cimetières communaux laïcs, cependant les sépultures en propriété privée restent autorisées sous certaines conditions. LES CIMETIERES PRIVES DE GORDES-LES GROS L’inventaire en est difficile et c’est par un travail minutieux de récolte d’informations qu’une première liste a pu être dressée. Les plus anciens cimetières ont disparus et sont redevenus des terres cultivées : Nous avons eu connaissance de leur emplacement par des témoignages oraux Description succincte : Le lieu est parfois marqué par quelques arbustes et cyprès, ou entouré d’une grille. Il peut se situer dans la propriété, à proximité du lieu d’habitation, comme en plein champ. Dans la plupart des cimetières, les tombes sont juxtaposées au fur et à mesure des besoins, sans privilégier d’orientation définie. Le plus grand nombre est en pleine terre, avec de simples pierres délimitant la sépulture. C’est par le plan du lieu, souvent conservé dans les archives familiales que l’on peut connaître l’état civil des personnes enterrées. Ces mentions sont quelquefois gravées sur des dalles On trouve quelques versets bibliques mais pas de croix huguenote. Les caveaux sont plus récents et moins nombreux. « Nous pleurons mais non comme ceux qui sont sans espérance »Thessaloniciens 4-13. « Ils anéantiront la mort pour jamais et l’éternel essuiera les larmes de dessus tout visage » Esaïe 35/36. « La grâce de Dieu soit avec vous tous » chap 3 verset 15. « Nous sommes étrangers et voyageurs sur la terre » Hébreux 11 et 13. « J’ai combattu le bon combat j’ai achevé ma course et j’ai gardé la foi » Timothée v.7 Au lieu dit « Le Valla » hameau des Martins, en dessous de la tombe du pasteur Bastide, nous avons découvert une stèle couchée portant cette inscription : « Ici repose le corps de Jean Martin décédé le 26/08/1801 à Gordes à l’âge de 70 ans (il était donc né en 1731) avec l’inscription « ils ne sont pas perdus, ils nous ont devancé ».
En dessous du temple des Gros : beau monument funéraire avec un caveau et 3 tombes, dont celle de Jean Bourgue maire des Beaumettes et conseiller presbytéral. INVENTAIRE DES CIMETIERES AUTOUR DES GROS Les lieux disparus C’est le cas d’un cimetière, situé en dessous du hameau des Gros, qui comportait quelques dizaines de tombes, marqué par de simples pierres visibles il y a encore quelques années. Le dernier ensevelissement aurait eu lieu vers 1940. Cette terre, a été labourée et plantée en vigne. En dessous des ruines du hameau des « Vieilles Beaumettes » se trouvait le cimetière, dont on peut voir encore l’emplacement clos de murets avec la porte d’entrée. D’autres lieux de sépultures, lorsqu’ils ne figurent pas sur le cadastre, ont disparu suite à la vente des terrains ; tombes Martin lieu-dit « les Bouisses » aux Combettes Les lieux abandonnés La tradition orale nous a permis de retrouver des emplacements inconnus jusqu’alors, parce qu’abandonnés suite à l’extinction des familles entre autre, et de ce fait non signalés. La végétation a envahi ces lieux qui sont difficiles d’accès. Les dalles mortuaires sont recouvertes d’une épaisse couche de terre et c’est toujours avec émotion que l’on découvre des inscriptions : état civil et versets bibliques. Ainsi, au milieu d’un champ, au plan des Beaumettes, sous les ronces, nous avons dégagé trois pierres tombales : Sophie Peyron, épouse Martin – Elisabeth Appy née à Lacoste, épouse Guichou et Paul Guichou (tous deux conseillers presbytéraux en 1930). Après de tenaces recherches, les tombes du pasteur Bastide et de sa famille ont été dégagées des buissons, ainsi que les pierres tombales recouvertes par la végétation. Elles se trouvent dans un bois, au hameau des Martins, lieu-dit « le Valla ». Les principaux lieux retrouvés Certains cimetières sont bien entretenus, d’autres complètement abandonnés, nous en avons répertorié, environ vingt-cinq. Ce qui représente une centaine de tombes. Elles sont concentrées dans un espace assez limité autour des principaux hameaux des bastides des Gros (carte ci-dessous).
Leur répartition et leur densité témoignent de l’importance de la communauté protestante de ce territoire. Parfois des travaux d’entretien de ces sépultures, témoignent de leur pérennité comme de maintenir une tradition vieille de plus de quatre siècles et demi. Des règles d’usage familial, non écrites, limitent les inhumations à la filiation directe, à l’inaliénabilité des cimetières mais aussi au libre accès des familles dans ces lieux. Pour les derniers propriétaires de cimetières familiaux, l’inhumation en propriété privée, constitue un trait vif de leur mémoire, que rien ne peut autoriser à effacer, d’où la volonté de préserver ces pratiques funéraires. Liste sommaire des cimetières de famille : 19 lieux qui correspondent à 29 cimetières (dont 4 disparu) et à une centaine de tombes autour des hameaux des Gros, Fontcaudette, les Bouilladoires, les Michelons et la commune des Beaumettes : -1/ Le Ribas : famille Peyron caveau et plusieurs tombes -2/ Les Martins : « Le Valla », 3 cimetières : famille Peyron des Bouilladoires 5 tombes, Pasteur Bastide et sa famille 4 tombes, tombes Jean Martin et Peyron -3/ Les Martins « L’avène » famille Peyron des Martins 7 tombes -4/ Entre les Martins et les Michelons, en bordure de l’ancien chemin, deux cimetières Caveaux Peyron et Denantes : 5 tombes ? -5/ Les Michelons : cinq cimetières Famille Daniel Bourgue : 10 tombes Famille Couderc : 4 tombes Famille Martin-Granier 4 sépultures/caveau Famille Emile et Léon Peyron : 4 tombes Famille Auguste Bourgue (disparu)
Un des cinq cimetières des Michelons -6 /Fontcaudette : Famille Sylvestre des Martins 12 tombes -7/ Les Gros : le Bosquet : famille Clovis Bourgue 3 tombes et peut être plus ? -8/ Les Gros : les Beaumones : famille Calixte Bourgue des Michelons-Peyre 4 tombes -9/ Les Gros : les Pins : 2 cimetières ; famille Bourgue des Gros 7 tombes –Tombe du pasteur Gaudard – Famille Bégou et Serre : caveau et 7 tombes
-10/ Les Gros (sous le temple) : famille Bourgue, Jean des Beaumettes et Appy de Lacoste : 3 tombes -11/ Les Gros : le Serre : ancêtres Bourgue des Michelons, Malan des Gros et ancêtres Bruneau des Gros 15 tombes disparues -12/Les Combettes famille Gaudin 2 tombes et plus ? -12 bis/ Les Combettes famille Martin : tombes disparues -13/ Les Beaumettes le plan : famille Pito-Martin : 6 sépultures en caveau -14/ Les Beaumettes le Bosquet deux cimetières : familles Grouiller- Porte et Martin- Couderc : 10 tombes -15/ Les Beaumettes le Plan : Peyron Guichou-Appy en plein champs 3 tombes et plus ? -16/ Les Beaumettes le château : famille Chabert : 3 tombes -17 Les Beaumettes dans les bois : Calixte Bourgue des Beaumettes : 1 tombe -18 Les Beaumettes : les Garrigues : Marius Palpan des Bouilladoires : 1 tombe -19 Les Vieilles Beaumettes les Garrigues : emplacement de l’enclos – tombes disparues Ces sépultures, très nombreuses sur le territoire du hameau des Gros, terre de petits propriétaires d’habitat dispersé, sont un témoignage fort de cette présence protestante d’origine vaudoise. Les noms relevés encore aujourd’hui le prouvent : Peyron, Bourgue, Martin, Gaudin, Appy, Peyre …. Un nombre important de réformés de ce lieu ont montré, là encore, leur ténacité, en préférant l’ensevelissement « aux champs » pour rester fidèle à leur foi. Les cimetières de famille, spécifique aux protestants, ont un rôle à jouer dans la transmission de la mémoire. Ils symbolisent ce à quoi peut mener toute forme d’intolérance et sont, à ce titre, les témoins d’une page de l’histoire de notre région. Ce sont les traces concrètes d’un passé de résistance. Et quand bien même ils pourraient paraître complètement abandonnés, ces cimetières particuliers ne le sont pas. Il convient donc de les respecter, car ils constituent un élément important de notre patrimoine et sont donc à protéger. Il s’agit bien là d’une partie de l’héritage vaudois en Luberon, ainsi que l’exprime Gabriel Audisio. Il cite une enquête de 1974 qui signalent onze localités comptant le plus de protestants par rapport au nombre de la population. Il se trouve qu’elles sont toutes d’anciennes communautés vaudoises. Parmi ces onze localités, figure Gordes-Les Gros. « Tout se passe donc comme si la présence réformée avait mieux résisté au cours des siècles grâce à une tradition plus solidement ancrée prenant sa source dans ses origines vaudoises ». ∗∗∗ Ce dernier article clôture la série publié dans « La Valmasque » et dans « Le Lien », notre bulletin paroissial. Nous avons essayé de vous faire partager l’histoire de cette communauté protestante, d’origine Vaudoise, de Gordes-les-Gros. En espérant que ces récits vous ont permis de mieux connaître et comprendre « ces familles depuis longtemps disparus, presque oubliés, qui eurent, comme nous une vie faite de travail, d’espérance, de craintes, d’émotion, de joie, de douleur, de doutes et de foi.» La mémoire des familles d’origine vaudoise, comme celle des Camisards, fait partie de l’histoire de France. Nous devons le respect à ces peuples, nourri de la Bible, qui nous ont donné une grande leçon de liberté. Ces milliers de femmes et d’hommes qui ont refusé de transiger avec la liberté de conscience au prix de leur vie, nous ont laissé cette intransigeance en héritage. Ne pas méconnaître leur histoire, c’est reconnaître tout ce que nous devons à nos aïeux. Marion et Magali Bourgue En conclusion, un extrait du livre de Bernard Appy « De père en fils » (une famille vaudoise du Luberon au 17eme siècle) . « Nous avons découvert le ressort essentiel de la foi de ces populations, en poussant la porte des bastides et en pénétrant l’intimité des familles. La foi s’enracine dans le terreau familial. Non pas qu’elle fût donné par les hommes, car alors elle n’aurait pas été véritablement la foi ; mais plus modestement, elle se fortifiait entre ceux du même sang, perpétuant ainsi une pratique qui remontait aux anciens vaudois. Dans le secret des veillées au coin du feu, les vieux racontaient aux enfants les histoires des souffrances endurées par les anciens pour ne pas abandonner la fidélité de leur engagement devant l’Eternel. La famille permettait d’exprimer et de protéger la foi, et de la transmettre de génération en génération. D’où ces lignées protestantes du Luberon, dont l’identification est permise à partir du seul nom. On était protestant de père en fils, comme on avait été vaudois. La foi se perpétuait en même temps que la vie, illustrant ainsi ce que l’apôtre Paul écrivit aux Romains11/18 » : – Ce n’est pas toi qui porte la racine, mais c’est la racine qui te porte—
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